Mysterio de printemps (2/2)
Je me réveillais en sursaut quand on me tapota sur l'épaule :
- He, ça va ?
J'étais allongé sur un banc de bois, inconfortable, et ressentais déjà les courbatures qui commençaient à me rappeler que je n'avais pas dormi dans mon lit. Un homme d'une vingtaine d'années et en chemise à fleurs et pantalon pattes d'eph me fixait avec curiosité. J'avais un mal de tête carabiné, et beaucoup de mal à me rappeler où j'en étais, mais tout me revint quand un train arriva en gare et que la foule laborieuse massée sur le quai se précipita pour y monter.
- Euh, où sommes nous ?
- Ben, gare Saint Lazare ! Vous allez bien ?
- Et quel jour sommes-nous ?
- Le 17 avril...
- Mais de quelle année ?
Le regard se fit narquois :
- Vous devriez peut-être voir un docteur. Vous êtes sûr que ça va ? Un mauvais trip ?
Je le fusillai du regard, aussi il me répondit « 1976 » avant de s'éloigner rapidement en haussant les épaules. Je me levai d'un coup et me frottai les yeux. 1976 ! J'essayai de réfléchir en sortant de la gare. C'était impossible, mais les tenues des passants, l'aspect des bus ou des voitures qui circulaient, tout me prouvait que c'était bien réel. Je portais moi-même un costume immonde et des chaussures qui me faisaient mal aux pieds, sans doute un coup de l'homme en livrée. Je palpai mes poches mais n'y trouvai plus mes affaires, ni mes clés, ni mes papiers, ni le foutu billet de train de malheur. Il y avait une carte de visite qui ne m'appartenait pas, avec « Rdv à 16 heures » de marqué. Le jeu de piste continuait. Qu'est-ce que tout cela voulait dire, et qu'allais-je bien pouvoir faire dans cette époque qui n'était pas la mienne ?
J'avais vraiment besoin de me requinquer, aussi j'entrai au bistro de la gare pour y boire un petit noir, me mêlant à ceux qui avaient déjà largement entamé leurs petits rouges ou blancs... A chacun sa couleur, mais tout était déjà bien assez confus pour que je n'en rajoute pas... Quoique, à la réflexion... Je commandai un verre de cognac, histoire de me remettre de mes émotions. C'est quand il a fallu payer que ça s'est gâté. Je n'avais pas d'argent puisqu'on m'avait délesté de mes affaires, mais de toutes façons la monnaie avec laquelle j'avais généreusement garni mon portefeuille en prévision de ce voyage n'aurait pas été adaptée. Je me rendis aux toilettes en espérant y trouver une porte de sortie. Pas de possibilité côté homme, mais j'aperçus en passant côté femme une fenêtre dans laquelle je pourrais me faufiler. Je fis mon plus beau sourire à la dame pipi et me lançai dans mon numéro, bien rodé, d'arnaqueur. Je finis enfin par la convaincre, et l'escroquai du contenu de son assiette et surtout des quelques billets qu'elle avait dans son sac à mains. Puis je la persuadai de quitter son poste quelques instants pour filer par la fenêtre des toilettes.
En attendant l'heure du rendez-vous, je flânai dans les rues, découvrant un Paris inconnu pour moi, quelle qu'en soit l'époque. Je jouai au touriste en montant sur la Tour Eiffel et en me baladant sur les Champs Elysées. Puis je dévorai un repas succulent dans un petit restaurant de la Place du Tertre, j'avais toujours rêvé de voir le Sacré cœur. Enfin, comme l'heure avançait, je pris un taxi, pour me rendre à mon rendez-vous.
La concierge m'indiqua l'étage et je montai. Je sonnai mais personne ne répondit. La porte était entrouverte, aussi je la poussai et j'entrai. Une commode en merisier meublait l'entrée, avec une horloge qui cliquetait. Je sursautai quand le petit oiseau sortit de sa maisonnette pour coucouter les 16 heures.
- Il y a quelqu'un ?
J'avais l'habitude d'explorer des appartements inconnus, dans un cadre strictement professionnel, et cet endroit était le seul moyen pour moi de comprendre ce qui se passait, aussi je le visitai en me signalant de temps en temps, toujours sans réponse. Une surprise m'attendait dans la chambre à coucher où une femme gisait nue sur le lit. Non, ne souriez pas comme ça, cette femme était morte, les yeux exorbités et un foulard noué très serré autour de sa gorge. Etranglée.
Ca sentait le roussi. Je m'apprêtais à filer quand je remarquai l'enveloppe à mon nom qui reposait sur le ventre de la femme. J'hésitais mais il fallait que je comprenne, je pris la lettre. La peau était encore chaude. Je n'aimais pas les cadavres, et je m'étais d'ailleurs toujours refusé à les dépouiller.
J'ouvris l'enveloppe pour y découvrir un mot d'une écriture toute en angles : « L'arnaqueur arnaqué ».
C'est quand j'entendis les flics arriver dans l'appartement que je compris la raison de ce cadeau empoisonné et surtout les ennuis qui m'attendaient. C'est moi qui allais payer pour le meurtrier qui m'avait offert un voyage dans le temps pour que je prenne sa place.
C'était en quelle année, déjà, l'abolition de la peine de mort?